Digitalisation des métiers de la gestion d'actifs : la chasse aux idées reçues...
Vous travaillez dans la gestion d'actifs et souhaitez connaître l'impact de la digitalisation sur votre métier ? A ce sujet, Active Asset Allocation et Finance Innovation ont organisé mercredi au Palais Bongniart un petit déjeuner conférence intitulée "IA et transformation digitale des métiers de la gestion d'actifs" en présence de nombreux professionnels de l'asset management et de la fintech.
Objectif : partager les enjeux de la digitalisation et les domaines prioritaires d’application, comprendre les différentes trajectoires que revêt la digitalisation et se projeter dans les prochains défis de la digitalisation et de l’AI. « Les grandes sociétés de gestion d'actifs se sont toutes emparées du sujet », rappelle en guise d'introduction Philippe Limantour, chief innovation officer du département Financial Services d’EY en France, pour qui « il s'agit d'une affaire de culture, pas seulement de technologie ».
Et qui mieux qu'une fintech pour organiser ce débat ? Active Asset Allocation conçoit des solutions d'investissement via une plateforme digitale et gère 2,5 milliards d'euros d'actifs sous conseil. « Nous nous aidons de l'Intelligence Artificielle pour faire un maximum de simulations », explique Adina Grigoriu, ex-tradeuse sur produits dérivés qui a fondé et dirige cette fintech qui emploie une équipe de 16 collaborateurs composée de profils spécialisés dans l'actuariat, le digital et l'allocation d'actifs, parlent douze langues et cumulent ensemble un niveau Bac+75 comme elle se plaît à le rappeler...
L'Asset Management en retard. Vraiment ?
La table ronde intitulée « La digitalisation des métiers de la gestion d'actifs » et animée par Patrick Seifert, partner au sein du cabinet conseil Chappuis Halder spécialisé dans les services financiers, a été l'occasion de battre en brèche certaines idées reçues. « On a coutume de dire que l'Asset Management serait en retard en matière de digitalisation. Il n'y aurait pas de vision prospective stratégique et ce seraient les acteurs périphériques comme les fintechs qui seraient les moteurs de cette évolution », avance Patrick Seifert, un brin provocateur.
Un constat auquel ne souscrit évidemment pas Marie-Pierre Ravoteur, responsable du QuantLab and Structuring chez AXA Investment Managers, l'un des groupes pionniers en matière de digitalisation. « Contrairement aux fintechs, nous ne sommes pas dans l'objectif de nous vendre », explique-t-elle. Et de rappeler que les sociétés de gestion développent discrètement mais sûrement des outils digitaux et que tous les grands groupes ont initié des réflexions technologies digitales (mode agile, project managers...) leur permettant de baisser significativement les coûts
Après tout, Rome ne s'est pas faite en un jour. « Le digital working révolutionne nos méthodes de travail. Cela nécessite une vision globale et prospective. C'est un chantier colossal », relève pour sa part Pascale Auclair, présidente de La Française AM qui emploie 600 collaborateurs.
Un degré de maturité insuffisant ? Pas si sûr...
« Dans la gestion d'actifs, la digitalisation s'apparenterait à une marche lente, davantage motivée par le fait de ne pas être distancé plutôt que de prendre de l'avance sur ses concurrents », poursuit Patrick Seifert.
Là aussi, Marie-Pierre Ravoteur adresse un démenti. Certes, dans la gestion d'actifs, la population est un peu plus "old school" que dans les fintechs. « Nous ne pouvons pas délivrer les produits avec la même agilité, en 48 heures chrono par exemple », reconnaît-elle. « C'est pourquoi nous ne nous interdisons pas d'aller chercher quelques prestataires extérieurs dans le conseil ou la fintech lorsque nous considérons qu'ils sont mieux placés que nous ».
« Et que penser du fonctionnement en silo, non décloisonné, des sociétés de gestions d'actifs, alors que les outils digitaux fonctionnent de façon transverse », s'interroge Patrick Seifert. « Il convient de casser les silos, monter des Labs, des task forces déhiérarchisées et les mandater sur un projet commun de robo-advisoring par exemple », répond Pascale Auclair.
Le choc des cultures et des générations. Ah bon ?
« Les talents eux-mêmes (ex : gestionnaires stars) ne constituent-ils pas également un obstacle supplémentaire ? » se risque à demander Patrick Seifert...« Un gérant talentueux aujourd'hui est talentueux en terme de gestion mais également dans l'utilisation des outils digitaux », indique Pascale Auclair. Pour la présidente de La Française AM, la digitalisation ne constitue plus aujourd'hui une révolution culturelle pour les gérants. Ils pressentent ce que le Big Data et l'Intelligence Artificielle vont leur apporter en matière de construction de portefeuilles par exemple.
« Les choses sont en train de changer de façon structurelle », répond quant à elle Marie-Pierre Ravoteur, rappelant que l'objectif du gérant est de gagner du temps tout en faisant baisser les coûts. Sans oublier que la digitalisation peut le décharger de certaines tâches répétitives (ex : reporting, alerting...). D'après elle, les gérants apprécient la transformation digitale et l'appréhendent à la fois...
D'où l'intérêt, afin d'éviter le choc des cultures et des générations, d'intégrer des équipes de quants et de data scientists dans les équipes de gestion, comme cela se fait au Quant Lab chez AXA Investment Managers qui regroupe à la fois des quants, des structureurs et des gestionnaires d'actifs.
Un constat qui vaut aussi pour les équipes des fintechs. « L'idéal est une personne experte par groupe de trois à cinq développeurs, ces derniers ayant besoin d'être encadrés par des gens du métier de la gestion d'actifs sans quoi cela risque de devenir très vite compliqué pour eux... », conclut Adina Grigoriu.
Enfin, qui a dit que la gestion d'actifs était un métier d'hommes ?
De gauche à droite : Patrick Seifert (Chappuis Halder), Pascale Auclair (La Française AM), Marie-Pierre Ravoteur (AXA Investment Managers) et Adina Grigoriu (Active Asset Allocation)
Crédit photo : JIRAROJ PRADITCHAROENKUL / gettyimages