Baisses de salaires et hausses d’impôts en vue
Si vous travaillez dans les services financiers, la crise du COVID-19 menace de signer la fin d’une approche du travail déjà en perte de vitesse. En bref, la conviction qu’il est sensé de condenser sa vie professionnelle sur une vingtaine d’années (ou moins) très intenses, avec des horaires à rallonge et des salaires astronomiques, après quoi vous pouvez partir, devenir directeur non-exécutif ou faire tout à fait autre chose.
Cette approche des carrières en finance était courante entre 2002 et 2008. Mais comme nous le confiait en 2017 Kerim Derhalli, ancien head of global equities trading de Deutsche Bank, ces quelques années restent une exception : « les collaborateurs arrivés durant cette bulle partaient du principe que c’était la norme, mais il n’en était rien, » précisait-il alors. « Les banques n’ont pas toujours été les meilleurs payeurs. Elles n’ont pas toujours enregistré des bénéfices records – les années 2000 étaient juste un cas particulier. »
Depuis la crise financière, les salaires en finance ont baissé, en valeur relative comme en valeur absolue. Les technologues se plaignent régulièrement que les grands noms de la tech proposent de bien meilleures conditions que la haute finance et se demandent pourquoi aller travailler dans une banque pour être moins bien payé.
Pourtant, les salaires en finance pour les postes de front office impliquant une relation client sont toujours élevés. Prenons l’exemple de Credit Suisse, où 1 398 personnes ont perçu chacune l’an dernier en moyenne 1,1 million de francs suisses, soit près d’un million de dollars ; ou de Deutsche Bank, avec 383 personnes rémunérées plus d’un million d’euros en 2019, parmi lesquelles 69 ont dépassé les 3 millions d’euros. Sur l’ensemble du secteur, des milliers de banquiers d’investissement de rang intermédiaire sont encore payés 270 000 livres (295 000 dollars) ou plus. Pas un capital-retraite, mais beaucoup plus que ce que proposent la plupart des autres formes de salariat, et cela justifie de gros sacrifices en termes de temps et de vie privée.
La crise due au COVID-19 menace de renverser tout cela. Cela fait moins d’un mois que la plupart des économies occidentales sont entrées en confinement et les bonus de 2019 viennent tout juste d’être versés. Déjà pourtant, la Banque d’Angleterre demande aux banques de supprimer les bonus en numéraire pour 2020 et l’Autorité bancaire européenne suggère de fixer les bonus pour cette année « de manière conservatrice ».
Les régulateurs n’auront sans doute pas besoin de demander aux banques de réduire les salaires variables. Le nouveau CEO de Credit Suisse a déclaré avant-hier qu’il envisageait déjà des réductions de bonus pour 2020 en gage de « solidarité ». Les analystes européens de Goldman Sachs prévoient que le COVID-19 impactera les revenus des banques pour les trois ans à venir, avec une chute de la rentabilité des actifs tangibles à 3% en moyenne, voire un passage en négatif pour certaines banques cette année. Les banques américaines ne sont pas plus préservées – Morgan Stanley prévoit une chute de 40% des revenus de Goldman en 2020. Dans ce contexte, les banques n’auront guère d’autre choix que de réduire les bonus à la portion congrue, d’autant que les coûts fixes de l’emploi – autrement dit les salaires – dans la plupart des grandes banques sont devenus incompressibles depuis les assurances données aux employés qu’il n’y aurait pas de licenciements à cause du virus.
En soi, l’annulation quasi certaine des bonus liés à la performance individuelle cette année laisse supposer un changement radical de culture dans la finance. Certains, en salle de marché et en émission d’obligations investment grade, viennent de passer quelques très belles semaines ; il semble probable qu’on leur demande de renoncer à leurs prétentions afin de rééquilibrer les salaires avec ceux de leurs collègues restés en plan sans grand-chose à faire (à part assister aux sempiternelles réunions Zoom) et qui auraient été licenciés.
Et même si vous êtes bien payés en 2020 ou dans les années à venir, il restera toujours la dette croissante de l’Etat. Deutsche Bank évalue le déficit fiscal américain à 3 000 milliards de dollars en 2020, soit presque 15% du PIB nominal et deux fois plus que pendant la crise financière de 2009. En Allemagne et en France, Deutsche Bank prévoit des déficits respectifs à hauteur de 7,3% et 9,5% du PIB (contre un excédent de 1,3% et un déficit de 3,2% en 2019), tandis qu’au Royaume-Uni, le ministre des Finances Rishi Sunak a engagé 15% du PIB pour compenser les effets du virus sur les finances des foyers. Plus longtemps le gouvernement couvrira les salaires, plus élevé sera le coût final : selon les calculs d’UBS, le Royaume-Uni dépense actuellement 0,225% du PIB par semaine. C’est une dépense inévitable : si rien n’est fait pour soutenir les revenus des foyers, les dettes ne seront pas remboursées et la mère de toutes les crises financières s’ensuivra.
A plus long terme, une chose est sûre. Comme l’a mentionné Bobby Vedral, ancien head of market strats chez Goldman, dans sa newsletter hier matin, les impôts ne tarderont pas à augmenter. Et si vous comptez parmi les rares employés dans le monde à percevoir un salaire à six chiffres, nul doute que vous soyez parmi les premiers touchés.
Pour les plus gros salaires, les conséquences risquent d’être douloureuses, en particulier au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et en Allemagne, où une récente enquête de Deutsche Bank a révélé qu’assez peu de gens, toutes tranches de salaire confondues, étaient prêts à abandonner 10% de leur salaire pour soutenir la lutte contre le virus. Une donnée qui pourrait pourtant évoluer en fonction de la mortalité : en Espagne et en Italie, la propension à faire des sacrifices financiers semble plus élevée – voire tout simplement élevée.
D’ici à la disparition du virus, les professionnels de la finance auront peut-être conclu que le monde tient finalement moins à l’enrichissement individuel et plus au soutien social – à la fois des collègues et de plus larges communautés – que par le passé. Et si ce n’est pas le cas ? Que cela leur plaise ou non, c’est bien cette approche qui risque de leur être imposée. Bienvenue dans le futur !
Moins de libertés plutôt qu’une perte de salaire
Si vous deviez choisir parmi les options proposées ci-dessous, laquelle seriez-vous prêt·e à abandonner pour aider à lutter contre les effets du coronavirus.
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