L’humiliation silencieuse des femmes en banque d’investissement
Bully Market, écrit par Jamie Fiore Higgins, ancienne managing director de Goldman Sachs, vient tout juste de sortir. Mais les bonnes feuilles qui ont circulé juste avant sa parution avaient déjà fait quelques vagues.
Jamie Fiore Higgins a quitté Goldman Sachs en 2016, avant le nouvel effort voulu par David Solomon, devenu CEO, pour embaucher et promouvoir des femmes. Elle n’était pas une employée de passage : engagée par Bryn Mawr en 1998, lors d’une session de recrutement parmi les meilleurs éléments des cursus d’arts libéraux, elle avait passé 16 ans chez Goldman à New York. Elle aurait pu y faire toute sa carrière : entrée comme analyst, elle avait gravi tous les échelons jusqu’à devenir MD dans la division Securities Services.
Bully Market est écrit comme un roman, et Goldman se déclare « en profond désaccord » avec ses « allégations anonymisées. » Jamie Fiore Higgins ne prétend pas y reproduire fidèlement la réalité. Les personnages sont des « composites », les citations ne sont pas des « verbatim ». Les événements sont « condensés » et sujets aux aléas de la mémoire, mais elle confie néanmoins que son livre rassemble ses souvenirs actuels et ses points de vue sur sa période Goldman. Et ces souvenirs ne sont pas particulièrement bons.
On a déjà beaucoup parlé des pires éléments du livre : son agression par un collègue transféré d’un compte clé ; les meuglements quand elle tirait son lait pour ses jumelles pendant sa journée de travail, l’explosion de colère d’un autre collègue à qui le personnel d’un bar demandait de se comporter correctement alors qu’il était ivre durant un événement client.
À côté de tous les psychodrames et les complots pourtant, Jamie Fiore Higgins livre le tableau d’un sexisme plus pernicieux, caractéristique du secteur bancaire dans son ensemble et plutôt que chasse gardée de Goldman Sachs. Les hommes sont promus grâce à des relations clients forgées à coup d’alcool et de sessions de loisirs exclusivement entre hommes. Les gros contributeurs sont protégés et immunisés contre les répercussions de leurs comportements. La direction générale est pétrie de bonnes intentions, mais se perd dans la mise en œuvre. Les RH sont inutiles et sous la coupe des générateurs de revenus aux comportements déplacés. Les femmes occupant des postes seniors sont isolées et gardent le silence par peur de faire partie de la prochaine vague de licenciements. Celles et ceux perçus comme accordant trop d’importance à la famille sont pénalisés au moment des promotions et des bonus.
Jamie Fiore Higgins ne se représente pas comme une sainte : elle se shoote au Xanax ; elle boit ; et elle a une liaison avec un collègue. Elle ne décrit pas non plus tous les hommes chez Goldman comme mauvais : le MD avec qui elle entretient une cette liaison est attentionné et charmant (même s’il rappelle un peu le principal personnage masculin de 50 nuances de Grey). Elle reste un cas à part : issue d’une famille ouvrière immigrée, elle est entrée chez Goldman grâce à son travail acharné, et a été promue grâce à son portefeuille de clients. Elle a quatre enfants, un mari père au foyer, et elle travaille pour faire vivre sa famille. En théorie, la banque aurait dû l’aider et la protéger.
Il n’est pas exclu que Goldman l’ait fait. Certaines femmes (cf. Katie Koch) réussissent chez Goldman, et les allégations de Jamie Fiore Higgins n’ont fait l’objet d’aucun examen par la justice. Non seulement Goldman les conteste, mais elle insiste par ailleurs sur l’existence d’une « politique de zéro tolérance vis-à-vis de toute discrimination ou représailles contre des employés rapportant des comportements inappropriés. » Voilà qui contraste avec l’affirmation de Jamie Fiore Higgins selon laquelle, alors qu’elle avait rapporté sous le sceau de la confidentialité son agression en public par un de ses collègues, celui-ci en avait été informé et avait rapidement ajouté certains de ses confidents misogynes au panel chargé de son évaluation à venir ; ses notes avaient alors chuté.
Lorsque Jamie Fiore Higgins a finalement quitté Goldman (après avoir attendu d’empocher deux bonus supplémentaires), elle n’est pas partie pour une autre banque. Afin de témoigner de la nature des problèmes dans l’ensemble du secteur, elle n’a pas essayé de prolonger sa carrière dans une structure plus souple. Elle a tout simplement quitté l’univers de la finance. « Je n’ai jamais connu un MD qui parte pour sa famille, » confie-t-elle alors à son mari. « Viré, oui ; parti chez un concurrent, oui ; mais juste parti comme ça, jamais. »
Jamie Fiore Higgins a passé cinq ans à écrire. En août 2021, elle est devenue coach professionnelle. Les banques qui veulent soutenir les femmes dans l’espace de travail voudront peut-être profiter de ses services. Même s’il semble improbable de Goldman veuille faire partie de ses clients…
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